« Chez la Païva… qui paye y va ! » ricanaient les mauvaises langues. La sulfureuse demi-mondaine n’en régnait pas moins fièrement sur son légendaire hôtel des Champs-Élysées. Impavide, la Païva a ici sublimé ce que Léon Bloy appellera bientôt le « stupre inégalable de la décadence. »
En 1865, après presque dix ans de travaux, voici que se dresse au n°25 des Champs-Élysées un hôtel particulier flambant neuf, aussi flamboyant que la chevelure rousse de sa propriétaire, aussi luxueusement ostentatoire que les diamants qu’elle affectionne particulièrement.
C’est l’hôtel dit « de la Païva », cette sensuelle courtisane russe, d’humble origine, qui a reçu le nom portugais et le titre de marquise, qui sonne si bien, de son deuxième mari, le marquis Païva y Araujo, et la fortune prussienne du troisième, le richissime comte Henckel von Donnersmarck.
Sensible au luxe ostentatoire, le Tout-Paris de l’époque est époustouflé par cette demeure magnifique de style Renaissance avec jardin suspendu. Les invités (au masculin : seuls les hommes sont les bienvenus) peuvent avoir le souffle coupé par l’escalier d’onyx jaune, les marbres lumineux, les lambris incrustés de lapis-lazuli, les boiseries, céramiques et mosaïques, bronzes, lustres et soieries.
Pas un espace qui ne soit paré de peintures ornementales, même sur les corniches. Et tout est à l’avenant. Jusqu’à l’étonnante cheminée-fontaine du salon de toilette. À elle seule, la salle de bains de style mauresque, très Second Empire, vaut le détour : baignoire en argent, où la reine des lieux, telle Cléopâtre ou Diane de Poitiers, aime à prendre des bains de lait d’ânesse, ravie de son image captée par de nombreux miroirs à facettes. Une baignoire équipée de trois robinets : eau chaude, eau froide et…champagne. Il faut ce qu’il faut !
Une belle revanche
Omniprésente, la Païva goûte son triomphe. Elle, l’aventurière parvenue au sommet de son ascension, a voulu par ce joyau un peu trop clinquant, prendre une revanche sur ses origines, comme sur ce client qui l’aurait jetée sur le trottoir – une belle remise à sa place, ricane-t-on- là, devant le numéro 25 de la plus belle avenue du monde.
Elle est offerte aux regards, nue, sur le plafond du Grand Salon, dans Le Jour repoussant la Nuit, par Paul Baudry. et ce serait encore elle dans l’escalier, toujours aussi peu vêtue, sous l’apparence de la gracieuse Amphitrite qui habite un relief de marbre blanc.
Il lui aura donc fallu une décennie pour arriver à ses fins, et des millions de francs-or, mais le résultat mérite une visite, à en juger par les personnalités des lettres, des arts et de la politique qu’on croise chez elle : Wagner, Baudelaire, Hans Van Bülow, les Goncourt, Ernest Renan, Théophile Gautier, Sainte-Beuve, Thiers, Gambetta, pour ne citer qu’eux.
La demi-mondaine est devenue la reine du grand monde. Elle n’en profitera finalement que peu, obligée de s’exiler pour de sombres soupçons d’espionnage – après la guerre de 1870, son mari, cousin de Bismark, est le gouverneur prussien de l’Alsace-Lorraine.
Son esprit n’en quittera pas pour autant les lieux – semble-t-il – puisque, au XXIe siècle, alors que cet hôtel appartient au cercle privé anglais du Traveller’s Club, il continue à ne proposer les plaisirs de son luxe qu’à une clientèle strictement masculine…