Le pont de la Tournelle

Tirant son nom de l’une des tours de l’enceinte érigée par Philippe Auguste, le pont de la Tournelle a joué un rôle essentiel dans le développement de l’île Saint-Louis. Si sa facture est d’apparence classique, sa reconstruction au début du XXe siècle a donné lieu à des divers polémiques.

Pendant très longtemps, l’île Saint-Louis est restée inhabitée et isolée par rapport à la ville qui l’entourait, que ce soit l’île de la Cité ou les deux rives de la Seine. Ce n’est qu’au début du XVIIe siècle qu’est construit un premier vrai pont en bois reliant la rive gauche à l’île, inauguré par le jeune Louis XIII alors âgé de 13 ans, et par sa mère, Marie de Médicis. Détruit plusieurs fois par les gelées et les crues du fleuve, l’ouvrage en bois est finalement remplacé par un pont en pierre en 1654.

Les ravages du gel

Construits sans maisons et bordé de trottoirs à l’image du Pont-Neuf, ce pont de pierre est de nouveau mis à mal par l’hiver 1658 : les eaux de la Seine ayant gelé, les inondations qui résultent de la fonte des glaces provoquent d’importants dommages, dont l’effondrement de plusieurs des voûtes du pont.

Mais les autorités s’en désintéressent. Il ne défraie de nouveau la chronique qu’en 1831, lorsque des voleurs dérobent des médailles de grande valeur à la Bibliothèque royale, avant de se débarrasser du butin en le jetant par-dessus le pont. Ce qui permettra aux plongeurs d’en récupérer une partie.

Béton armé et pierre de taille

Le pont va être totalement détruit en 1919 puis totalement reconstruit en 1928. Il faut dire que, en 1910, la crue de la Seine a submergé quatre de ses six voûtes et rendu impérative sa reconstruction. On choisit alors de recouvrir ses parties visibles de pierre de taille afin de masquer le béton armé qui a servi à la construction, créant ainsi une vive polémique.

Pour beaucoup d’architectes adeptes du béton moulé, l’ouvrage ainsi achevé est un non-sens, comme le montre ce commentaire de Charles-Henri Besnard : »Puisque le point doit être exécute en ciment armé, le bon sens eût voulu qu’il apparût comme un pont en ciment armé. Si par un souci peut-être louable en soi d’harmoniser avec le paysage ce travail d’art, on voulait le voir en pierre, il était simple de le construire en beau calcaire. » L’architecte dénonce ainsi un choix guidé par l’économie et la solidité et non par des critères esthétiques, en dépit de l’emplacement stratégique du pont, non loin du chevet de Notre-Dame.

Sainte Geneviève en débat

Au milieu du pont se dresse une statue de sainte Geneviève. Réalisée en 1928 par le sculpteur français Paul Landowski, elle s’élance vers le ciel, telles la proue d’un navire, et regarde vers l’est afin de protéger la capitale d’éventuelles invasions barbares.

Cette orientation décidée par les architectes eux-mêmes peut sembler naturelle pour la patronne de Paris qui vit déferler les Huns sur la ville au Ve siècle, mais elle donne lieu à une nouvelle polémique : certains plaident pour que la statue soit tournée vers l’ouest et puisse ainsi faire face au Paris historique et notamment à Notre-Dame. très vite, la querelle s’envenime et prend la forme d’un débat sur la laïcité et sur les rapports qu’entretient la ville avec l’Église catholique.

Vers l’est, finalement

Paul Landowski se prononce lui-même en faveur d’une orientation vers l’ouest. Ses raisons ne sont pas religieuse, mais esthétiques : il pense qu’elle serait ainsi mieux mise en valeur. Son souhait n’est cependant pas exaucé et, le 27 août 1928 à 7 heures du matin, la statue est « hissée comme l’on fait pour un sac de farine ou un coffre-fort. Deux montants avaient été dressés avec rotules à la partie inférieure et des poulies multiples. La bigue qui est en fer a environ 25 mètres de long et, précisément à cause de cette longueur peu commune, a été construite pour la circonstance », rapporte L’Intransigeant.

Et de fait, c’était bien d’un dispositif sur mesure qu’avait besoin cet ensemble statuaire de près de 20 mètres de haut et pesant plus de 25 tonnes.

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