En 1740, Voltaire écrira: « Un seul […] fit à ses dépens la place des Victoires, et érigea par reconnaissance une statue à son roi. Il fit plus que sept cent mille citoyens n’ont encore fait dans ce siècle. » Le « citoyen » n’est autre que le duc de Feuillade, maréchal de France.
Une statue monumentale en bronze doré -12 mètres en tout-, de Louis XIV en habits de sacre, couronné par une victoire, écrasant un Cerbère représentant les vaincus de la Triple Alliance: ainsi commence l’histoire de la place des Victoires.
Cette statue de bronze, commandée par l’habile courtisan et homme de guerre intrépide qu’est La Feuillade,est la réplique d’une autre en marbre créée par le même sculpteur, Martin Desjardins, juste après la paix de Nimègue, à l’apogée donc du règne du roi Louis XIV.
Un écrin pour le Roi-Soleil
L’installation de la statue, en 1678, crée l’événement dans la capitale. Placée sur un piédestal en marbre blanc orné de bas-reliefs et de quatre figures d’esclaves représentant quatre nations ennemies – l’Allemagne, l’Espagne, la Hollande et le Piémont-, la statue royale est prévue pour trôner au centre d’un magnifique écrin : une nouvelle place, pour laquelle La Feuillade a acheté l’hôtel de Senneterre ainsi que quelques maisons voisines, tandis que la Ville, qui veut participer à une si louable entreprise, a acquis l’hôtel d’Hémery.
« Le soleil entre quatre lanternes »
L’architecte Jules-Hardouin-Mansart a imaginé une place circulaire, ce qui est une innovation. D’un rayon de 39 mètres, elle va être critiquée par certains contemporains, qui la trouvent trop étriquée en regard de l’imposante statue royale.
Pourtant, si l’on en croit les théoriciens, elle offre à ceux qui se situeraient sur la circonférence dudit cercle un angle de vue idéal sur la figure royale. De jour comme de nuit, quatre fanaux portés par des colonnes éclaireront la place, suscitant les sarcasmes de certains Parisiens, comme en témoigne ce distique : « La Feuillade, crédieu, je crois que tu nous bernes. À mettre le soleil entre quatre lanternes… »
Un cercle loin d’être parfait
La place est inaugurée en mars 1686. Les façades classiques d’Hardouin-Mansart sont établis sur un type identique, formant un véritable décor d’apparat : deux étages et des mansardes reposant sur des grandes arcades en plein cintre surmontées de mascarons, des pilastres ioniques embrasant les étages. Dans le plan dessiné par le grand architecte, la place apparaît comme une « salle » de plein air.
À vrai dire, le cercle n’est pas rigoureusement parfait, et l’on pourrait plutôt parler d’un plan en fer à cheval, puisque deux hôtels antérieurs à la place sont maintenus derrière la statue royale, moyennant quelques aménagements pour l’un d’eux afin de le rendre symétrique de l’autre.
À l’origine, ce cercle était constitué de trois segments de façades coupés par les rues Croix-des-Petits-Champs et La Feuillade, la construction du segment médian ayant fait disparaître la rue ouverte dans l’axe de l’hôtel de La Vrillière construit, quelques années plus tôt par un autre Mansart, François, grand-oncle de Jules. Dès 1690, ladite rue est rouverte, offrant de nouveau une perspective sur l’hôtel.
Une unité mise à mal
Derrière les façades uniformes de la place, des financiers tels Samuel Bernard ou Antoine Crozat font construire des hôtels, à leur guise. Mais, dès le début du règne de Louis-Philippe, les hôtels sont tellement mutilés par la surélévation des bâtiments, l’installation des boutiques et d’enseignes commerciales, qu’il est devenu difficile de retrouver la belle ordonnance primitive de la place.
Mais, dès le début du règne de Louis-Philippe, les hôtels sont tellement mutilés par la surélévation des bâtiments, l’installation de boutiques et d’enseignes commerciales qu’il est devenu difficile de retrouver la belle ordonnance primitive de la place.
De plus, l’élargissement de la rue Croix-des-Petits-Champs et de la rue La Feuillade, et surtout le percement de la rue Étienne -Marcel entament profondément l’unité, nombre d’immeubles étant alors modifiés. En septembre 1792, la statue en pied de Louis XIV sera détruite – certains éléments du piédestal sont aujourd’hui conservés au Louvre. Elle sera finalement remplacée par une statue équestre de Louis XIV, commandée à Bosio par Louis XVIII et inaugurée en 1822.